Ciné-Zoom

  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
Accueil Festivals C'EST EUX LES CHIENS…

C'EST EUX LES CHIENS…

( 3 Votes )

C'EST EUX LES CHIENS…Sortie : le 5 Février 2014

VU - 4 Zooms

Film marocain
Réalisé
par Hicham Lasri
Avec Hassan Badida…
Comédie dramatique - 1h25 -

Rencontre avec Hicham LASRI, à Paris.

Votez en cliquant sur une étoile : de je n'aime pas... à j'aime à la folie

C'EST EUX LES CHIENS…Titre original : C'est eux les chiens…

Distributeur : Nour Films
 
 
Musique originale de ? 

C'EST EUX LES CHIENS…
Site officiel : NC

Avec aussi : Yahya El Fouandi, Lmad Fijjaj, Jalal Boulftaim…


C'EST EUX LES CHIENS…

 
L'histoire : L’histoire de Majhoul, emprisonné en 1981 pendant les émeutes du pain au Maroc, qui ressort, 30 ans plus tard, en plein printemps arabe. Une équipe de télévision publique, qui réalise un reportage sur les mouvements sociaux au Maroc, décide de le suivre dans la recherche de son passé...
 
 

C'EST EUX LES CHIENS…
Notre avis : Avec son second long-métrage, Hicham Lasri lève le voile sur un des visages de son pays, le Maroc. Un conte où la réalité vole la vedette aux féesL’heure des règlements de compte avec la dette du passé a sonnée pour Majhoul qui,emprisonné lors des émeutes du pain en 1981, sort de prison après trente ans et se retrouve en plein cœur du printemps arabe. Une tragédie humaine bouleversante et hurlante de vérité dont la morsure ravive nos blessures. Une quête d’identité et de reconnaissance enragée et parfois enrageante qui mène nos sens aux abois et met notre cœur en émoi. M. D. - 4 Zooms - 
 
 
Rencontre avec Hicham LASRI, à Paris.  
  
De vous Hicham Lasri, on connaît la profession : réalisateur. Mais après avoir dit « Action » qui est l’homme caché derrière sa caméra quand survient le « Coupez », et que vous êtes l’acteur de cette vie réelle qui fait son cinéma ? Je pense que l’homme dans la vie de tous les jours n’est pas très intéressant (sourire). C’est surtout un homme qui aspire à réaliser, à écrire ou à trouver des idées. Ce que je trouve intéressant dans le cinéma, ce n’est pas mon métier, c’est le mode de vie. On est toujours là, non pas forcément à « observer » mais, à « absorber » des choses qui se déroulent devant nous. Depuis 5-6 ans, je me sens très concerné par mes citoyens, mes concitoyens, mes frères, ma famille …Ce qui m’importe c’est de voir comment je peux transformer quelque chose d’extrêmement lié à l’histoire récente du Maroc en une autre un peu plus universelle en la partageant. C’est ce que j’aime dans la narration ou le storytelling : ce moment où on ressent tous la même chose face aux histoires des autres et qu’on se projettjuste par empathie ou envie. Tous les jours, je suis juste porté par le désir de travailler sur un film ou d’en écrire un autre. 
 
Dans la vie qu'est-ce qui vous motive et qu'est-ce que vous fuyez d’une manière  proactive ? Ce qui me motive, c’est une idée que je trouve intéressante le matin et horrible l’après-midi ; cette recherche à la fois de sensations, de rencontres avec des gens, un public et la possibilité de collaborer avec d’autres pour pouvoir raconter une vision singulière mais partageable du monde. Tout le reste ne m’intéresse pas beaucoup. Il y a un côté monomaniaque dans ma vie qui fait que je suis toujours en train de travailler, d’écrire des histoires.   
 

C’est votre façon d’exister ? Oui tout à fait.

Quest-ce que vous fuyez ? Je pense qu’il n’y a rien à fuir. On peut tirer le meilleur parti de tout, même des choses qui ne nous intéressent pas ou nous mettent en colère. C’est assez adolescent de tourner le dos, et plus intéressant de rester, de regarder et d’essayer de comprendre, et probablement de cumuler les points de vue. Plus on avance dans la vie, plus le doute devient une arme qui nous aide à comprendre, à dormir et à nous réveiller le matin avec autre chose que des problèmes dans la tête. A partir du moment où on comprend ça, je pense que cela devient plus attrayant d’évoluer dans le monde. On peut être en désaccord sans être obligé de se faire la guerre tout comme on peut être d’accord avec des personnes qu’on n’aime pas particulièrementCela permet vraiment la multiplication des possibilités et c’est ça qui est motivant.

Selon Freud l’homme n’est en mesure de donner un sens à son existence qu’en luttant courageusement contre les inégalités.  Le métier de réalisateur apparaît comme votre principal moteur. En quoi vous a-t-il permis d’exorciser les démons que sont les parjures faites à votre pays ?Jai toujours dit de manière presque ironique, en évoquant mon premier long-métrage comme celui-ci qui est le second, que c’était une sorte d’autobiographie rêvée de mon enfance. Je tourne uniquement dans des endroits que je connais ou ai connus dans mon enfance et ne parle que de choses que j’ai traversées consciemment ou inconsciemment. Lors des émeutes du pain en 1981, j’avais quatre ans mais j’ai vraiment ressenti le côté répressif de l’état même si je n’en percevais pas les enjeux. J’ai vu mes parents sous l’emprise de la peur mais mes frères et moi n’en comprenions pas la raison parce que nous n’étions pas exposés, mais protégés. On ne jouait qu’entre nous, le monde extérieur était un endroit un peu sauvage, une sorte de forêt noire étrange. Je n’existais qu’à travers ma famille. C’est donc extrêmement violent pour un enfant d’être le témoin de la peur de ses parents parce que c’est comme la fin d’une « déité ». Là, on comprend mieux comment la peur peut contaminer toute une société. Pour moi, c’était important de prendre tous ces moments d’angoisse et d’anxiété et d’en faire un film, sans jamais oublier que l’impulsion de départ a toujours été une émotion de colère et de crainte. Je préfère commencer un récit à partir de vraies émotions plutôt que d’aller chercher de fausses histoires.

Vous sublimez en fait ? Exactement. C’est exactement ce qui s’est passé pour mon premier long-métrage. J’ai voulu raconter quelque chose que j’ai vraiment vécu : la fin d’Hassan II. Je voulais montrer comment ça a créé une sorte de rupture dans la tête des gens. C’est comme lorsqu’on entend le « bip » qui survient quand un cœur cesse de battre. Après on se demande ce qu’on va bien pouvoir faire ;ensuite survient, pendant un tempsun flottement extrêmement cinématographique. Dans le cas présent, j’ai beaucoup plus facilement emmagasiné les gestes des gens et leurs émotions pour les réécrire en toile de fond. C’est vrai que derrière, il y a une projection personnelle. Moi je suis du genre à toujours être dans l’équipe de foot qui perd (sourire). C’est important de faire part de son point de vue avec ironie. Je pense qu’elle est beaucoup plus forte que le vrai premier degré d’engament ou la simple indignation (qui est un mot très à la mode actuellement).  Les faits peuvent évoluer au fur et à mesure du temps si on garde cette ironie par rapport à la situation. Les gens ont souvent envie que tout change très vite et parfois forcent les choses alors que finalement on se retrouve toujours au même endroit avec les mêmes problèmes même lorsque l'on n'a l’impression que cela vient de nous tomber dessus. C’est en fait un cercle vicieux. C’est précisément ce que raconte le film « C’est eux les chiens ». Il y a beaucoup de cercles, ou même un cadre dans le cadre (des motifs qui sont importants pour dire qu’on n’est pas dupe, qu’il ne faut pas être pessimiste mais qu’il ne faut pas non plus perdre sa lucidité. Ça va toujours être un peu ça avec une petite variation. On reste dans un monde complexe qui ne sera jamais celui des Télétubbies (sourire). 

Pièces de théâtre, romans, scénarii, BD, pubs clips, courts puis longs-métrages. Artiste aux multiples visages vous jouez sur toutes les palettes et facettes de votre créativité jusqu’à celle du conte de fée empreint d’une dimension mythologique, de caricature ou d'humour noir face au désespoir : votre armure et votre signature? Pour moi, tout part de l’écrit. Ça a toujours été ça ma vraie définition du monde c’est-à-dire d’abord l’écrire et ensuite le faire exister. Naturellement, il y a des idées que j’ai écrites en nouvelles, d’autres que j’ai développées en scénario ou pièces de théâtre. Mais pour moi c’est toujours le même corpus. Je ne vois pas de distinction entre ce que je tourne et écris. L’un me permet de faire l’autre. De toutes les façons, il y a toujours un brouillon puis une œuvre. Pour moi, tout est brouillon jusqu’au moment où à la fin on verra si quelque chose prend forme et est cohérent. Il y a pour moi une certaine gratuité dans le fait d’écrire. J’aime avoir une idée et passer une journée ou deux à l’écrire comme ça. Je ne suis pas du genre à écrire pour m’adapter. C’est important. Plus on écrit, plus on aura d’idées. Que ce soit par l’écriture, le dessin, le théâtre, ce sont les mêmes armes ou outils et à force on s’améliore.

Recourir au conte, la caricature, l’humour noir est-ce pour vous une façon de faire ressortir le meilleur des situations les plus désespérées ? C’est un peu votre signature ? (Sourire) Je ne suis pas du genre à m’offusquer, m’indigner ou à être en proie à une colère qui se déclenche par pure impulsivité. J’aime bien observer : je suis un observateur de la société. Je garde une certaine distance parce que c’est indispensable pour être un bon sniper. Le meilleur moyen de traiter certains sujets, lorsqu’on tourne, c’est de les évoquer en les installant par rapport à des références autour et non de les décrire sous l’emprise des émotions.  L’humour est en cela plus agressif que la colère au premier degré parce que les coups de gueule c’est presque plus facile ; tout autant qu’avoir un premier degré didactique ou politisé. Selon moi, la politique dans le cinéma parfois l’annihile alors que c’est important d’avoir des films qui comprennent un point de vue politique parce qu’au bout d’un moment il s’annule.  Trop de films partent d’une bonne intention pour traiter d’un sujet x ou y mais à un moment donné se perdent parce qu’ils ont eux aussi perdu de vue l’essentiel, c’est-à-dire le fait qu’ils sont en train de faire un film qui s’inscrit aussi dans une histoire : celle du cinéma. Ce qui n’est pas anodin. Il faut faire un film qui soit avant tout un voyage émotionnel et faire adhérer à des personnages qui n’existent pas vraiment, qui ont existé ou qu’on a même interprétés. Ce qui compte c’est qu’à la fin les spectateurs s’interrogent. Ce qui est intéressant avec mon film « C’est eux les chiens », c’est qu’on parle des émeutes du pain que personne ne connaît en France ou dans d’autres pays mais on arrive à assimiler ce que c’est sans forcément être dans le détail. Dans n’importe quelle société, on comprend le besoin de se nourrir, de la dignité… ce qui fait qu’on se projette et qu’on se pose des questions. Il y a aussi de nombreux journalistes qui m’ont avoué avoir cherché et trouvé différents sujets l’évoquant et j’ai trouvé ça fort ! Pour moi la suggestion est plus forte que les "name dropping" ou que de faire de l’informatif. Tout au long de mon film, il n’y a pas d’informations factuelles importantes par rapport à ça, à l’exception du carton de fin. C’est en toile de fond et ça prend la forme d’une angoisse, une vibration qui gêne parce que le film est lourd. Cette angoisse croisse au fur et à mesure. C’est à la fois le personnage et le contexte qui se marient pour créer cette lourdeur-là, cette violence sourde (parce qu’il ne fallait pas qu’une autre plus agressive cartonne). Je trouve que c’est une manière beaucoup plus gracieuse d’être dans le cinéma et aussi de présenter un aspect. Moi j’aime bien exposer l’histoire récente de mon pays parce que j’ai envie de comprendre des choses et de les partager. On passe beaucoup trop facilement sur des événements comme si agir ainsi suffisait à les régler. Or, il ne faut jamais oublier. Le devoir de mémoire c’est aussi celui de se dire que c’est passé mais qu’il faut faire attention afin que cela ne se répète pas. On doit toujours être conscient du fait que l’histoire est une ligne qu’il ne faut jamais briser au risque d’oublier qu’avant les symptômes de la même maladie existaient déjà mais qu’on n’a rien fait mais juste laissé faire… 

« C’est eux les chiens » un conte dramatique mordant où le chaos se fait poétique,la quête d’identité héroïque (Ulysse), la perte des idéaux enrageante. S’il ne devait y avoir qu’un message à retenir, quel serait celui que vous voudriez qu’on emporte en souvenir dans nos bagages?Je n’aime pas l’idée de message (sourire).

Une morale ? Je pense que l’idée de départ c’est la sincérité. Même dans la démarche d’écriture du film j’ai vraiment cherché une sincérité en transformant la fiction en réalité pour donnerl’impression de réaliser un documentaire. A tous les niveaux, on essaye d’être sincère, de ne pas surjouer…S’il y a une leçon à tirer c’est que nos péchés nous poursuivent jusqu’à la tombe. C’est ce qu’exprime le personnage principal Majhoul. Il a fait des erreurs graves avant de partir et à son retour trente ans plus tard elles sont toujours là à l’attendre. Quand il revient voir sa famille et retrouve son fils, il lui reproche son absence, ses infidélités,son attitude envers leur mère et le peu d’attention et considération qu’il leur a accordésCe qui l’a vraiment sauvé c’est de s’accrocher au souvenir obsessionnel de revenir donner ce stabilisateur à son fils. C’est sa béquille.

Les personnages auxquels on donne vie à l’écran sont souvent le reflet d’une part de nous. En quoi Majhoul vous ressemble trait pour trait ? Et les autres ? Je ne pense pas m’être forcément identifié au personnage ou à l’événement même si on fait inévitablement allusion à des choses qu’on connaît parce que ça part toujours d’un point de vue personnel que l’on traduit. Dans « C’est eux les chiens », ce qui m’importait c’était d’avoir quatre personnages plus ou moins principaux auxquels on attribuait à chacun quelque chose de très précis pour qu’on ne se perde pas. On n’a ainsi pas besoin de connaître leur nom. J’ai partagé selon les générations (parce que j’ai travaillé avec beaucoup de personnes qui travaillent ainsi afin de comprendre comment ils fonctionnent)On sait qu’ils font de la télévision. Le vieux est là depuis trente ans et attend la retraite en faisant le minimum syndical. Le reste il s’en moque. Il n’a pas envie de faire autre chose car il n’a plus aucune motivation et pense que ça va suffire. Le petit jeune, lui, a les dents longues et aspire à trouver sa place dans le monde, de gagner un prix ou d’être une célébrité. Il essaye même de bidonner le reportage pour s’arranger avec les faits pour faire le "happening"… Et enfin, ce jeune qui a la chance de prendre la caméra et de filmer n’importe qui parce qu’il a plus d’ambition et est plus jeune. Il a des envies et filme n’importe comment. Pour lui, c’est un peu comme s’inscrire contre les deux autres que d’agir ainsi. Il essaye de cohabiter avec eux. Son attitude cristallise tous les défauts les rendant ainsi plus violents : le paresseux paraît plus paresseux, l’arriviste semble avoir les dents qui rayent davantage le parquet et le jeune apparaît encore plus con… Ensemble ils vont commencer ce voyage-là vers la paresse, la volonté de brillerProgressivement on voit comment tous les quatre ils basculent du bon côté de la force (sourire). Ce changement est entièrement gratuit car il n’a aucune autre fonction que celle de montrer qu’on peut tous changerCe n’est pas anodin qu’ils passent tous par le hammam pour se laver avant de rentrer. A la fin, ils sont vraiment sincèrement désolés quand ils pleurent voyant Majhoul se faire rejeter. On sent qu’à un moment donné ils ont oublié tous leurs défauts pour n’être presque plus qu’une petite famille recomposée. Ils forment vraiment une petite famille parce qu’ils ont traversé des épreuves durant lesquelles ils se sont entraidés. Ça les a sortis de leur contexte quotidien, de leur travail. L’un ne pense qu’à rentrer pour picoler, l’autre pour voir sa femme et le dernier on ne sait pas qui il est mais ce qu’on comprend c’est qu’il est là pour être le faire valoir tout le monde... Je me suis inspiré de personnes qui sont dans cet esprit-là.

On retrouve ainsi un peu de vous en eux ? Ce besoin viscéral que Majhoul a de faire la paix avec ce souvenir pour l’exorciser est bien le vôtre ? Oui. Je pense que c’est surtout ça. C’était important pour moi de me « débarrasser » de ce moment de ma vie. Ça s’est fait, on passe à autre chose (sourire). Il y a aussi beaucoup de moi dans les autres personnages d’une manière ou d’un autre mais ce n’est pas quantifiable. Je suis toujours gêné par les films où tout le monde parle de la même manière car on sent que c’est la voix du maître–réalisateur ou scénariste et non celles des personnages. Or, moi ce qui m’intéresse c’est de donner vie à des personnages pour qu’on s’y attache ou qu’on les déteste. Ce n’est pas un film de genre : il n’y a pas le bon d’un côté et les méchants de l’autre. Tout le monde a une part de lumière et une d’ombre. Ce qui importe c’est de voir jusqu’où ils l’assument. Même le journaliste a de vrais arguments pour expliquer la raison pour laquelle il a tourné sa veste :parce que les idéaux qu’il défendait avant ne sont plus ceux qui le préoccupent aujourd’hui. C’est une énorme trahison mais c’est en même temps une évolution. Il n’est pas méchant. On ne peut pas non plus reporter la faute sur le système. Ça serait trop facile. Il faut comprendre que l’histoire nous permet de faire des choses et qu’il ne tient qu’à nous de savoir saisir les opportunités pour avancer et partager.

Le duo avec Nabil Ayouch : rencontre due au hasard ou réelle désir de croiser vos regards pour marquer ensemble le 7ème art ? On s’est croisés avec Nabil en 2001. Une belle rencontre parce qu’avant lui j’avais beaucoup de mal avec le cinéma marocain local. Quand j’ai vu son premier film, "Mektoub", il m’a touché car j’ai réalisé qu’il existait quelqu’un qui pouvait faire un cinéma d’un autre genre : plus ambitieux, plus personnel, moins bavard. Même si nous n’avons pas toujours la même vision nous avons trouvé un dialogue commun. Il a trouvé en moi un jeune intéressant et moi en lui un producteur à l’écoute. De là, est née une longue collaboration. Il a produit tous mes courts-métrages – à part mon premier long-métrage parce que ça devait se faire dans un autre cadre. C’est très agréable de parler de tout avec quelqu’un même si on n’est pas d’accord. Ça l’est tout autant de travailler  avec une personne qui adore le cinéma et qui est animé par l’envie de faire des choses différentes ; quelqu’un qui soit suffisamment généreux pour participer au projet d’un réalisateur autre que lui-même. C’est aussi ce qui fait de lui le meilleur réalisateur et producteur du Maroc.

C’est à l’occasion d’un concours que vous l’avez rencontré ? Oui et à cette occasion il a lu un de mes scénario qui était un peu bordélique (sourire), qu’il a beaucoup aimé et défendu auprès de la commission car lui était le producteur mais n’avait pas le pouvoir de décider. Et depuis, on collabore ensemble. C’est une expérience très heureuse. On a réalisé de nombreuses petites choses sur commande ensemble, pour la télévision également. C’est un réel plaisir de travailler avec quelqu’un de pointu et carré. C’est comme avec mes comédiens, c’est parce qu’on se connaît et qu’un lien émotionnel s’est tissé entre nous qu’ils s’abandonnent pleinement. Il faut dire qu’Hassan (Majhoul) ne sait pas nager. Mais il ne s’est pas posé la question. Cela montre combien l’abandon est extrêmement important parce qu’il touche. Ce n’est pas donné à tout le monde de le faire parce qu’on n’est plus dans le jeu mais dans l’être. Les acteurs deviennent ainsi de vrais petits soldats pour servir la cause qu’est le film. Quand on écrit, il est essentiel d’être suffisamment confiant pour permettre aux autres de s’épanouir. Une idée ce n’est qu’une idée l’incarner c’est autre chose. Je ne suis pas comédien et ce n’est pas mon travail. Je dirige mes comédiens selon mes ressentis et comme je cadre je suis toujours derrière eux pour leur passer des messages lors des prises mais c’est ensemble qu’on construit quelque chose. Quand je parlais de mode de vie je faisais référence au fait que ce sont des personnes que je côtoie dans la vie de tous les jours, vivant dans la même ville, et avec lesquelles je parle de tout, as uniquement de cinéma. Avant même d’écrire mon scénario, je le nourris de toutes ces choses.

Est-ce que ça a été le cas avec Hassan Badida ? Avez-vous écrit le rôle de Majhoul en l’imaginant l’incarner ? Pas vraiment. C’est un peu dangereux  parce que c’est comme faire quelque chose sur mesure pour une personne. Or, celle-ci peut perdre ou prendre du poids et là ça ne peut plus marcher (sourire). C’est aussi par la force des choses que je travaille avec une troupe de comédiens, ce ne sont pas que des choix. Mais, j’écris, j’écris, j’écriset à la fin lorsque j’ai fini le scénario j’organise un casting pour trouver un autre comédien avec lequel j’ai envie de travailler pour avoir quelque chose de plus « frais ». L’autre aura un second rôle et non le principal parce que je n’ai pas vraiment envie de travailler avec lui (sourire). Il était important de faire ce « tour dans le vide » pour comprendre que les choses ne sont ni gratuites ni automatiques mais qu’elles se méritent. Je fais toujours ce cérémonial étrange d’aller chercher ailleurs. Le doute qui nous anime tous deux, le comédien et moi-même, n’ôte rien à la confiance que l’on se voue mais au contraire nourrit le personnage. Il n'exécute pas seulement, il se remet en question et fait appel à l'émotion.

Formaliste » vous vous dites réalisateur anticonformiste, vous apparaissez en sortant des sentiers battus. Est-ce une démarche originale voulue pour vous démarquer ou une façon d’être innée que vous adoptez en général dans votre vie privée? J’aime bien dire que je suis incapable d’être au centre. Je me retrouve donc automatiquement en marge (sourire) tant par le choix de mes histoires que par leur mode de fonctionnement.Personnellement, ce qui me passionne, c’est d’aller là où les gens ne vont généralement pas.  Avec cette démarche, je marche hors des sentiers battus et ne fais pas partie des dénominateurs communs. Cela se ressent en tout, jusque dans l’approche technique du film où je suis allé chercher les défauts que l’on coupe d’ordinaire pour les écrire et en faire des éléments dramatiques (comme le micro qui tombe à la fin) ou pour jouer sur l’attente des spectateurs. C’est le cas avec le premier plan quand on entend des crachotements, pour moi c’est un peuple qui retrouve la voix, littéralement, au premier degré. Mais, ceux qui voient des milliers de films et qui se retrouve face à celui-là, ils se sentent mal à l’aise parce qu’ils ne savent pas s’il y a un problème technique.  Mais progressivement ils acceptent et deviennent vigilants et à partir de ce moment l’échange devient proactif et c’est ce qui est intéressant.Certains ne rentrent pas dans le film parce que cela ne rentre pas dans leur cosmogonie ou dans leur manière de visualiser le monde, c’est leur droit. Mais j’aime bien aussi agacer et l’idée qu’on ne soit pas là que pour le plaisir ou le loisir. C’est Umberto Ecco qui dit que : « Les romans c’est pour le divertissement et la consolation ». J’aime beaucoup le mot « consolation », le fait que l’on nous console de notre ennui, notre douleur et de nos peines de cœur. C’est cette partie-là que cela attaque.

« Maintenant que j’ai fait la paix avec les autres, je suis brouillé avec moi-même ». Est-ce que vous faites ces films comme on fait certaines choses pour qu’on nous aime ou pour être en paix et en phase avec vous-même ? Ça ce sont des péchés qui me suivent (rire). C’est le genre d’oxymore que je peux écrire mais je ne me souviens pas dans quel contexte je l’ai fait! Je ne suis pas du genre à faire plaisir aux autres, même pas à ma famille, ma mère ou même ma femme. Je pense que ça signifie simplement que je me suis investi dans des projets mais pas forcément avec les bonnes personnes. Trop  se contentent de plagier ou de faire semblant juste pour attirer le regard des femmes (ce que je déteste encore plus). C’est comme le vieux cadreur qui se contente de très peu.  Pour moi, chaque film est une percée vers l’horizon, on peut aller très loin c’est sans limite..

Jamais deux sans trois…  « C’est eux les chiens » n’est pas encore sur les écrans que le visage de votre troisième long-métrage se dépeint déjà précisément. Entre dessin animé, conte et réalité, son intrigue pouvez-vous nous conter ? J’ai deux projets en cours. Le premier, "Kill S", conte l’histoire d’un couple franco-marocain qui explose en plein vol parce qu’il fait une rencontre très particulière. Le second, "The Sea isbehind" (dont je finalise le montage) évoque la vie d’un homme travesti qui danse dans les carrioles et les mariages et qui montre comment il a tout perdu et tente de se consoler. On joue sur quelque chose de très local à savoir comment être un homme est parfois antinomique au fait d’être un gai. Il règne donc un flou autour de la sexualité car un travesti n’est pas un homosexuel. Au Maroc, être homosexuel ce n’est pas être un homme et est considéré comme un crime passible de prison ! C’est un film assez particulier (sourire).

Continuer à prêter votre plume pour donner vie aux scénarii des autres : une envie qui vous consume ? Ce sont des rencontres avec des gens qui ont besoin de mon apport pour développer leur propre histoire (car il ne s’agit jamais des miennes). C’est toujours agréable de faire de nouvelles rencontres. Si le courant passe bien, on partage trois ou quatre mois de développement fructueux. Ensuite, « j’abandonne le bébé » à partir du moment où ils sont satisfaits du script je passe à autre chose. Pour moi le plus important c’est la rencontre et l’échange. Le film, c’est le leur.

Quel réalisateur a été votre mentor ? Je suis plus quelqu’un qui pense à la littérature quand il évoque le cinéma. Je n’aime pas le mariage consanguin. Je suis un grand fan de littérature, de Philip K Dick, Camus, KafkaC’est aussi beaucoup d’influences et d’histoires qui nous marquent. J’aime le côté littérature mutante, étrange et tout ce qui a trait aux procédés d’expérimentation car c’est proche de ce que j’ai réalisé avec « C’est eux les chiens », il y a donc une certaine cohérence. En cinéaste Bresson. 

Dans la vie : c’est marche ou crève. Quelle devise vous porte depuis toujours vers la réalisation de vos rêves ? Le prochain sera meilleur..

Propos recueillis par M. D.

 

Recherche Google

Publicité